L'Aïkido en France
L’Aïkido est introduit en France par Minoru Mochizuki en 1951.
Il pratique d’autres arts martiaux, principalement le Judo, quand il
est recommandé en 1930 par son professeur Kano Sensei auprès de Ueshiba
pour étudier les techniques de Ju-Jutsu. À l’ouverture du futur Hombo
Dojo, Ueshiba lui demande de devenir ushideshi. Il devient certainement
un des élèves les plus appréciés du maître qui, en outre, souhaitait que
Mochizuki épousât sa fille.
En fait, Minoru ne vit qu’un an auprès du Maître, mais ils gardent de
telles relations que Ueshiba lui rend toujours visite quand ses voyages
le rapprochent de la région où habite son élève.
Alors que Mochizuki est invité en Europe pour enseigner le Judo, il se rend auprès de O Sensei.
Celui-ci lui confie qu’il vient de rêver, par trois fois, qu’un de ses
disciples allait diffuser l’Aïkido en Europe et qu’il avait acquis la
certitude que ce serait lui (6).
Mochizuki s’embarque pour la France où il dirige des stages de Judo et
exécute différentes démonstrations pour promouvoir l’Aïkido. En 1952, il
est expulsé de France pour avoir tenu des propos antinucléaires (7). Avant son départ, il charge un de ses élèves, Jim Alcheik, de poursuivre son œuvre (1).
De retour au Japon, il demande à Ueshiba d’envoyer un nouveau disciple
en France. C’est Tadashi Abe que O Sensei choisit pour accomplir cette
mission.
Tadashi, alors âgé de 28 ans, ne parle pas un mot de français. Il enseigne dans les dojos de Judo déjà implantés à cette époque.
Le maître Kawaishi lui conseille de procéder comme il l’a fait pour le
Judo à son arrivée, c’est-à-dire de codifier les mouvements sous forme
de séries, ce qui s’avère plus adapté à la pédagogie des occidentaux. De
1953 à 1961, Tadashi suit méthodiquement ce conseil. Son Aïkido est
très axé sur la défense. Tadashi avait comme particularité physique de
ne plus avoir de séparation entre les phalanges à cause de ses frappes
répétées au makiwara, souvenir de ses débuts à Osaka en 1942, une époque
où le Japon fabriquait des guerriers (7). Après huit ans de travail, il retourne dans son pays considérant accomplie la mission que O Sensei lui avait confiée.
Avant de quitter la France, il décerne le quatrième dan à André Nocquet
(élève de Ueshiba de 1955 à 1957) qu’il charge d’assumer la relève. Il
laisse plusieurs milliers de pratiquants en France, avec parmi eux de
nombreuses ceintures noires (5). De
retour au
Japon, il est choqué par le changement de l’enseignement pendant
son absence. Reprochant au Hombo Dojo de pratiquer un sport de femmes,
il se sépare de l’Aïkikaï.
En
France, la révolte gronde. André Nocquet ne parvient pas à faire
l’unanimité parmi les pratiquants, dont certains n’acceptent pas de lui
laisser le premier rôle pour diriger et développer l’Aïkido comme il
l’entend. Une demande est faite, auprès de l’Aïkikaï, pour
déléguer en France un expert japonais. Certainement très flatté par
cette démarche, les Japonais choisissent Mitsuro Nakazono
qui arrive en 1961 à Marseille. Ce choix n’est peut-être pas le
meilleur. En effet, Nakazono est très influencé par la philosophie et la
spiritualité. Sans remettre en cause ses qualités, le contraste est
cependant saisissant avec le « guerrier » Tadashi Abe. Le nouvel expert
refuse toutes codifications puisque celles-ci n’existent pas au Japon.
Dans son dojo de la porte Saint-Martin, à Paris, il instaure des
exercices de méditation avant la pratique, comme le fondateur O Sensei
avait l’habitude de le faire. Beaucoup d’élèves le quittent, mais parmi
ceux qui persévèrent se trouve un jeune adolescent de seize ans,
Christian Tissier. En 1967, Nakazano crée l’institut Kamanaga, où il
enseigne pour la première fois en France le Kato-Tama (les mots de
l’âme), répétition de certains sons précis selon un ordre déterminé (5), cher à O Sensei. En 1970, Nakazono quitte la France pour Santa-Fé, Etats-Unis, où il n’enseigne plus l’Aïkido (5).
La même année que Nakazano, en 1961, arrive en France un deuxième disciple, Masamichi Noro, cette fois choisi par O Sensei, et mandaté pour propager l’Aïkido en France et en Europe. Entre-temps, plusieurs pratiquants se sont établis depuis le départ de Tadashi Abe. Refusant d’accepter Nakazono comme remplaçant, ils poursuivent leur propre chemin.
L’arrivée de Noro est accueillie avec beaucoup de
méfiance par certains professeurs français qui ont peur que soit mis en
cause leur prestige naissant. Masamichi Noro, certainement
ébranlé par cet accueil sans chaleur, poursuit sa mission et crée en
1962 l’Association Culturelle Française d’Aïkido ( ACFA). Il organise de
nombreux stages en France et en Europe et fonde en l’espace de trois
ans 250 clubs qu’il dirige dans toute l’Europe. En 1969, Noro est
victime d’un très grave accident de la route qui le laisse, en dépit de
plusieurs opérations, paralysé d’un bras. Sans qu’il en soit informé,
les instances du moment décident de confier la responsabilité de ses
clubs à ses assistants (5). Quand il
reprend son enseignement, seulement quelques fidèles sont encore au
rendez-vous. Il ouvre alors à Paris un dojo appelé Institut Noro. C’est
l’époque de la contestation en France. Les querelles à propos de formes,
de styles, sont incessantes, chaque groupe étant persuadé de pratiquer
et d’enseigner le « vrai » Aïkido. Son style étant de plus en plus
critiqué, Noro décide de se séparer de toutes attaches et donne un
nouveau nom à son art, où la notion de combat disparaît complètement :
le Kinomichi (5)
C’est au cours de cette période qu’un troisième maître japonais arrive en France. En 1964, O Sensei Ueshiba charge Nobuyoshi Tamura, qui a prévu de découvrir l’Europe durant son voyage de noces, d’étudier la manière dont fonctionne l’Aïkido en France au travers des structures associatives qui le régissent. À ce moment, les relations entre Français et Japonais se sont considérablement dégradées, les premiers reprochant aux seconds de ne pas s’adapter à leur mentalité et à leur réalité (5). Tamura, qui ne devait rester que quelques mois en Europe, s’installe en France où il demeure encore aujourd’hui. Tamura adhère à la ACFA créée par Noro puis il rejoint en 1971 les groupes adhérents à la Fédération Française de Judo et Disciplines Associées (FFJDA). Il participe également à la fondation de l’Union Nationale d’Aïkido (UNA), son style devenant de plus en plus représentatif. Il collabore avec André Nocquet et Hiroo Mochizuki.
Histoire de l'organisation fédérale en France (8)
Dans les années cinquante, l’Aïkido est enseigné dans les dojos de judo aux ceintures noires.
On doit à Tadashi Abe la première codification de l’art sous forme de série.
La première structure fédérale française est créée par Jim Alcheik
en 1959. Elle prend le nom de Fédération Française d’Aïkido Taï-Jutsu
et Kendo (FFATK). Jim Alcheik est élève de Minoru Mochizuki avec qui il a
passé un an au Japon en 1958. Il développe un programme d’entraînement
destiné aux futurs instructeurs, essentiellement recrutés parmi des
ceintures noires de judo. Il est tué au cours d’un attentat en Algérie
en 1962.
Au début des années soixante, le nombre de pratiquants est en augmentation (de 400 à 500) et il y a pénurie de professeurs. Après le départ de Tadashi Abe en 1961, plusieurs groupes se forment, organisés par ses anciens élèves. Le plus important est celui d’André Nocquet. En 1964, celui-ci rejoint la FFJ qui devient la FFJDA. La même année, la FFATK rejoint la FFJDA. Masachimi Noro dirige de son côté un groupe indépendant, l’Association Culturelle Française d’Aïkido (ACFA) créée en 1962. En 1965 la section Aïkido de la FFJDA comprend 111 dojos avec 2.200 membres. En additionnant les groupes de Noro, Nakazano et Tamura, le nombre de pratiquants augmente de 1.000 personnes. C’est en 1967 que Nocquet et ses élèves quittent l’organisation du Judo pour créer la Fédération Française d’Aïkido (FFAD).
L’Aïkido poursuit son développement et le nombre de pratiquants dépasse 10 000 membres en 1970.
L’année suivante, le Ministère de la Jeunesse et des Sports décide
d’accorder aux instructeurs d’Aïkido une licence officielle
d’enseignement à l’exemple des professeurs de Judo.
L’Etat assume ainsi le rôle de vérifier la qualité et le niveau
technique des futurs professeurs. N’étant pas spécifiquement équipé pour
assumer ce rôle, il délègue ses pouvoirs aux deux organisations à même
de mieux le représenter, la FFJDA et la FFDA, mais ne parvient pas, face
aux résistances mutuelles, à imposer une fédération unique.
La même année, en 1971, M. Pfeiffer, ancien président de la FFJDA, crée l’Union Nationale d’Aïkido (UNA) sous l’égide de la FFJDA, afin de parvenir à unir les trois principaux groupes. L’UNA se compose alors de l’ACFA dirigée par Tamura, du Cercle d’Aïkido Traditionnel (CAT), de Nocquet et du groupe Yoseikan de Mochizuki. L’Institut Noro, affirmant son indépendance vis-à-vis de la FFJDA, refuse de se joindre à cette nouvelle fédération d’Aïkido. Sous l’impulsion de l’UNA, une commission représentative de ces trois groupes est créée et 500 professeurs ayant exercé au moins trois ans dans un dojo sont diplômés. Deux ans plus tard, Tamura, Nocquet et Mochizuki s’accordent pour mettre au point des principes d’enseignement appelés « la Méthode Nationale ». Ce travail est publié en 1975 sous le titre Aïkido, méthode nationale avec pour unique auteur Tamura. À partir de cette date commence la désintégration de l’UNA, laissant Tamura seul à la tête de l’organisation, avec, pour quelques années encore, l’accord de l’Etat.
Le 12 octobre 1975, Doshu Kisshomaru Ueshiba, fils de O Sensei, est invité en France. Il est témoin de la création le 2 novembre de la Fédération Internationale d’Aïkido (IAF) et de la Fédération Européenne d’Aïkido (EAF). Sur l’insistance de l’Aïkikaï, l’inauguration officielle de l’IAF a lieu un an plus tard à Tokyo. Son premier président fut le Français Guy Bonnefond. À la fin de l’année 1975, l’UNA compte à elle seule près de 16700 membres. En ajoutant les adeptes des autres groupes, plus de 20.000 pratiquants sont dénombrés. Les années 1975-1980 témoignent de grands bouleversements au sein de l’UNA qui perd un quart de ses membres, ne comptant plus que 12500 inscrits en 1977-78. Un certain nombre d’instructeurs quittent l’organisation et proclament leur indépendance. De nombreux dojos autonomes voient ainsi le jour. Pour tenter de mettre un semblant d’ordre dans ces différentes écoles, Guy Bonnefond crée la Fédération Nationale d’Aïkido (FNA). Une conférence réunissant tous les groupes est organisée sans qu’une issue positive soit trouvée à la consternation du Ministère de la Jeunesse et des Sports.
En 1977, pour élever le niveau technique des enseignants, Tamura dirige dix séminaires nationaux avec la nouvelle fédération, ainsi que 240 stages locaux. Malgré ces efforts, la FNA ne compte que 12.300 membres à la fin de l’année. Au même moment, quatre grands groupes, la FFJDA de Nocquet, le CERA d’Alain Floquet (ancien élève de Hiroo Mochizuki), l’Institut Noro et la Fédération française de Yoseikan Budo de Mochizuki s’opposent à la FNA et créent la Fédération des Arts Martiaux Traditionnels.
Le troisième congrès de la IAF est organisé à Paris en octobre 1980. Plus de 400 professeurs et élèves assistent aux débats et séminaires dirigés par Doshu Kisshomaru Ueshiba, son fils Moriteru, Rinjiro Shirata et différents représentants japonais de l’Aïkikaï en Europe. Le congrès est marqué par d’explosives prises de position et la volonté de l’Aïkikaï de ne reconnaître officiellement qu’une seule organisation internationale. Devant la situation chaotique des arts martiaux en France, due en partie à l’arrivée massive de réfugiés du Sud-Est asiatique, une situation qui a entraîné la prolifération de nombreux dojos, le Ministère de la Jeunesse et des Sports exige en 1981 des différents groupes et écoles qu’ils adhèrent à l’une des trois fédérations officielles, Judo, Aïkido et Karaté. D’autre part, la crise de la section Aïkido de la FFJDA se développe. Une réunion est organisée en 1982 pour mettre au point une déclaration d’indépendance. Bien qu’un accord de principe soit unanimement approuvé, un groupe apparaît favorable à une indépendance progressive alors que l’autre groupe, dirigé par Tamura, prône une séparation urgente et immédiate. En fait, le groupe de Tamura avait préparé la structure d’une nouvelle organisation indépendante mais, en dépit du soutien de Guy Bonnefond, président de la section Aïkido, il doit renoncer en avril et laisse la future organisation sans haut gradé. La Fédération Française d’Aïkido, Aïki-Budo et Assimilé (FFAAA) prend place en 1983 sous la présidence de Jacques Abel. La FFAAA reçoit l’agrément officiel du Ministère et se compose pour l’essentiel du groupe favorable à une indépendance progressive. Les fédérations de Nocquet et de Floquet rejoignent alors la nouvelle organisation.
De l’autre côté, Tamura, ainsi que Chassang et Bonnefond qui jouent un rôle déterminant,
optent pour la rupture complète avec la FFJDA et créent la Fédération
Française Libre d’Aïkido et de Budo (FFLAB) qui deviendra plus tard la
Fédération Française d’Aïkido et de Budo (FFAB).
En 1985, Nocquet quitte la FFAAA pour rejoindre la FFAB de Tamura. La FFAAA se retrouve sans haut gradé en son sein, bien qu’elle compte beaucoup de professeurs expérimentés. Parmi ces derniers, Christian Tissier qui, après avoir étudié 7 ans à l’Aïkikaï Hombo Dojo de Tokyo, est rentré en France en 1976 pour enseigner. Son succès sans précédent lui permet au cours des années de développer la ferveur de plusieurs centaines d’élèves. Tissier devient de facto le leader de la FFAAA en contre point à Tamura de la FFAB (8). Il apparaît que la France dépasse le Japon en termes de membres actifs et assume ainsi l’honneur d’être le pays accueillant le plus grand nombre de pratiquants dans le monde.
Bibliographie : (1) Dictionnaire des Arts Martiaux, LOMBARDO, Patrick. (2) Aïkido, nature et harmonie, SAOTOME, Mitsugi, Ed. Sedirep, Paris, 1985. (3) « Hommage à Maître Ueshiba », dossier présenté par DUVAUCHELLE, M.F, in Bushido, le magazine des arts martiaux, n°4, p31-41, quatrième trimestre 1983, Paris. (4) Aïkido, recherche du geste vrai, BLAIZE, Gérard, Ed. Sedirep, Paris. (5) Histoire de l’Aïkido en France, HAMON, Michel, Ed. Guy Tredaniel, 1995. (6) « Aïkido Morihei Ueshiba », avec un entretien avec Minoru Mochizuki, in Arts et combats n°11, p66-71, septembre 1994, Paris. (7) « Le pionnier de l’Aïkido européen n’est plus » par LOUKA, André, in Bushido, arts martiaux aujourd’hui, n°16, p19-24, février 1985, Paris. (8) The Aïkikaï news, encyclopedia of Aïkido, PRANIN, S.A, USA, 1991. (9) Budo, les enseignements du fondateur de l’aïkido, Budostore, Paris, 1994.